mardi 4 octobre 2016

Mise en couleur : une planche "inédite" de Tintin !


Pour ma deuxième mise en couleur (voir la première ici) j’ai choisis une planche entière (et non plus un dessin unique). Et pas n’importe quelle planche… une planche “inédite “ de Tintin ! La planche est issue d’un crayonné de Hergé pour l’album “le Thermozéro” qui ne verra finalement jamais le jour (voir plus d’infos ici). Elle sera encrée bien des années plus tard par Yves Rodier (sa page wikipédia ici) qui est l’un des plus célèbres (et talentueux) “pasticheurs” d’Hergé.

Voilà la planche (version encrée) en question :


La résolution est suffisante pour mes essais et l’ensemble est très agréable à regarder. Le fichier m’a été fourni par Yves Rodier lui même, je tiens encore à l’en remercier.

D’abord regardons de prêt l’encrage. Par rapport au crayonné d’Hergé (qui n’est qu’un crayonné bien incomplet), Yves Rodier a modifié de nombreuses choses. Par exemple, dès la première case on voit qu’il a inversé le sens de la voiture, sans doute pour mieux “coller” avec la case suivante. Et sans doute aussi parce-que c’est Haddock qui est sensé conduire (donc être à gauche). Et il y a d’autres changements de ce genre. Pour moi, Yves Rodier ne s’est pas contenté ici d’être un moine copiste, mais il s’est comporté comme un vrai auteur de BD (qu’il est) et a pris les libertés qui lui paraissaient nécessaires pour obtenir une planche digne de ce nom. C’était il y a de nombreuses années et depuis il a fait autre chose que des pastiches de Tintin; j’imagine que l’expérience aidant il encrerait aujourd’hui cette planche encore différemment… Car j’y relève aussi quelques “défauts”; mais j’y reviendrais plus tard…


La planche est autrement plus complexe que le dessin de mon précédent essai… J’essaie donc de m’y “attaquer” de façon logique… Elle fourmille de détails, il y a de nombreux personnages (qui ne peuvent pas être tous de la même couleur), de nombreux véhicules (qui ne peuvent pas non plus avoir la même couleur), un arrière plan bien fourni, etc.

Je classe les éléments en 3 catégories :
1/ les éléments dont la couleur est clairement imposée, parce-que c’est Tintin. La couleur du pull du capitaine Haddock par exemple, ou de l'imperméable de Tintin (vu dans divers albums) ou leur voiture (vu dans “les 7 boules de cristal”), etc.
2/ les éléments pour lesquels j’ai une certaine marge de liberté (comme les arbres, qui doivent être vert, mais j’ai le choix du vert…).
3/ les éléments où j’ai une liberté totale (les vêtements des personnages secondaires par exemple).

Logiquement je vais donc faire les couleurs dans cet ordre de priorité. D’abord les élément de catégorie “1”, puis les autres, en fonction de l’harmonie globale de la planche.

Je relève quelques difficultés supplémentaires dans cette planche :
La scène se déroule sous la pluie. La luminosité ne peut donc pas être celle de la plupart des albums. Je note quand même que ça ne semble pas être un orage violent (comme dans “les 7 boules de cristal") car les arbres ne sont pas déformés par le vent, qu’il n’y a pas d’onomatopées de tonnerre, etc. Le ciel devra refléter une météo pluvieuse mais sans être trop sombre… Le fond est très présent. D’ailleurs je me suis aperçu que la nature, les arbres, etc. sont très présent chez Tintin. Tout ce vert réduit les possibilités d’utiliser du vert pour le reste (voiture, vêtement, …) sous peine d’overdose, et du rouge (sous peine de picotements des yeux…).
La planche est très dense. Il va falloir faire attention à ne pas encore plus surcharger le dessin par trop de couleurs.

Maintenant il faut commencer. Je fais donc les éléments dont la couleur ne souffre pas de question :


Comme pour l’essai précédent, je sélectionne toutes mes zones manuellement, au crayon (dans Photoshop). C’est long mais je préfère. Je détoure réellement toutes les zones; je ne joue pas sur la profondeur des calques pour accélérer le processus. L’intérêt est de pouvoir changer l’ordre des calques sans que cela pose problème. Volontairement je ne fais pas les cheveux de Tintin, ou le rouge qu’il a souvent sur les joues. Je reste sur des aplats simples pour commencer. Je règlerai ce genre de détails plus tard.

Ensuite je détoure et colorie tous les éléments dont j’imagine à peu prêt la couleur (arbre, pelouse, route, etc.). Cela me permet d’avoir une vision globale de la planche. Je règlerai évidemment les couleurs en détails ensuite. Là encore je passe des heures sur les arbres, les buissons, etc. La prochaine planche que je ferai, je la choisirai sans arbre, sans buisson, … car je commence à en avoir marre…


La case 1 et 4 sont particulièrement intéressantes pour régler les couleurs car elles contiennent les éléments clefs de la planche : les 2 personnages principaux, le fond, la voiture accidentée, etc. De la case 1 je déduis que la voiture accidentée ne peut pas être verte (sous peine de trop se confondre avec le fond) - ou à la rigueur un vert très “flashy” - ni une couleur trop pâle. On doit la voir cette voiture ! A noter qu’a priori on dirait une Volkswagen Coccinelle (https://fr.wikipedia.org/wiki/Volkswagen_Coccinelle) (voiture très courante à l’époque)...

Je teste avec un bleu-gris-fadasse :


Ce n’est pas encore parfait mais je garde comme ça pour l’instant. Je teste des couleurs pour les autres véhicules :




Je trouve ce rouge un peu trop flamboyant pour une voiture de “méchants” (à priori). Je passe sur un gris plus “Bordurie” en attendant mieux :


Les choses commencent à se mettre en place :


Au passage je note quelques "trucs" bizarres dans la perspective des véhicules, des détails un peu confus, etc. En fait mettre en couleur force à vraiment bien regarder un dessin... Je passe aux personnages. Au passage j’essaie de comprendre d’où vient chaque personne (lequel vient du camion arrêté, de l’autre voiture, des maisons, etc.). Je commence par la victime de l’accident, sans chercher l’originalité, puis je passe aux autres (je tâtonne pas mal). J’arrive à quelque chose qui me convient :


Notez que j’ai été très sage dans les couleurs. Dans Tintin, Hergé n’hésite jamais à mettre des chemises roses, des pantalons mauves, des vestes jaunes, etc. Moi je n’ose pas trop…

Le résultat commence à prendre forme :


Maintenant je vais régler les couleurs. Je commence par la couleur de peau des personnages :


On s’occupe enfin des cheveux…


Et quand on est pas dessinateur, faire la coupe de Tintin n’est pas une mince affaire…

Bon, j’ai a peu prêt tout, maintenant je vais ajuster les couleurs et régler les détails…

D’abord le ciel. Il est trop sombre. Je change aussi la couleur de la montagne dans le fond :


Je modifie aussi légèrement la couleur des arbres, buissons, etc. On est encore loin d’avoir une planche de Tintin entre les mains… Je trouve le fond trop présent. J’essaie d’éclaircir un peu le tout. Je rajoute une ombre dans le feuillage des arbres, je rajoute une sorte de reflet sur la route (pour la “mouiller”) et des traces de pneus (pas très bien faites d’ailleurs). Ca commence à ressembler à quelque chose :


Tout cela est trop “propre” (informatique oblige) alors je rajoute une texture pour rappeler l’impression des vrais albums :


Puis j’utilise un filtre (“trame de demi-teintes”) pour renforcer le côté “vieille impression” :


Je teste, je fignole, j’ajuste… Bref je fais ce que je peux mais au final je n’avance pas plus. J’en reste donc là. Voilà donc le fichier final :


Malheureusement à cette résolution on ne voit pas grand chose... Mais je ne souhaite pas mettre ici un fichier haute résolution...

Conclusion :
J’ai sans doute vu un peu gros en m’attaquant à cette planche. La “ligne claire” d’Hergé n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Et cette planche est très fournie, donc difficile à mettre en couleurs pour moi. Sur une vraie planche d’Hergé il n’y a jamais confusion entre les différents plans, et la couleur y contribue pour beaucoup. Je me suis aperçu que mettre en couleur un dessin est le meilleur moyen pour le comprendre, l'analyser, etc. On zoom, dezoom et passe tellement de temps sur des détails (comme on ne le fait jamais lors d'une lecture, même attentive) qu'on finit par y voir (et comprendre) beaucoup de choses... Bref, je ne suis pas vraiment satisfait du résultat; pour moi on ne reconnaît pas vraiment les couleurs d’un vrai album de Tintin… Je n’ai pas vraiment tenu de comptes, mais je pense avoir passé une dizaine d’heures sur cette planche, ce qui reste correct (par rapport aux 8 heures passées sur mon précédent essai…). Je pense avoir brûlé quelques étapes en m’essayant sur cette planche complexe. Je vais donc revenir un peu en arrière dans mes prétention et la prochaine fois, je choisirai quelque chose de plus simple… Votre avis est évidemment le bienvenu !

ps : ce dessin (avec ou sans couleur) est évidemment Copyright ses auteurs; Je rappelle que Tintin (et tous les personnages liés) ne sont pas libres de droits. Je me permet de les utiliser ici à titre purement indicatif et sans but lucratif.

5 commentaires:

  1. C’est très très bien! D’où vous avez la page sans couleur? J’ai essayé trouver ce page sur l’internet mais les pages qui j’ai trouvé ont une mauvaise résolution.

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  2. Beau résultat ! Belle technique. Il y aurait toutefois fort à parier que Hergé ne l'aurais pas colorisée ainsi. En effet, si on observe ses planches, chaque page est traitée comme un tableau, on a souvent une couleur dominante, plus deux ou trois couleurs judicieusement réparties dans l'espace, ce qui donne à l'ensemble une impression de cousinage avec un tableau de Mondrian... Mais cette scène fourmille de détails qu'il est essentiel de bien identifier, notamment parce que les points de vue changent,ce qui est rare aussi chez Hergé au sein d'une même scène. Et vous vous en êtes bien sorti. Donc bravo !

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  3. Ma foi j'aimerais lire la suite elle existe pas ?

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  4. Exercice très intéressant. Le commentaire dont vous l’avez assorti est passionnant.
    Je regrette que Rodier ait choisi d’écrire : « Vite capitaine ! » Hergé, lui, aurait nécessairement écrit : « Vite, capitaine ! » Un nom mis en apostrophe est à séparer du reste de la phrase (même lorsque celle-ci est elliptique) par une virgule ou une paire de virgules.
    Bien à vous.

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